Réparé

24 juin 2014

Comme une corde de violon tendue à l’extrême.
Et qui transmet la musique le plus parfaitement possible.
Qui devient la musique elle-même.

Mais qui peut casser à tout instant.
Et juste après, j’entends le souffle qui s’arrête, j’entends la respiration qui manque.

Il est des moments difficiles où la vie nous donne des coups de boutoir.
A chaque fois que l’on croit en guérir, un autre arrive, un autre encore.
Jusqu’au matin où le courage semble nous abandonner.

J’étais lassée de trop d’efforts stériles, d’espoirs déçus, de chemins en impasse.

Changer d’air et de paysage m’avait toujours aidée à reprendre l’élan.
Cette fois-ci, ce serait peut-être plus compliqué, mais je savais que j’y parviendrais.

Je ne disposais que de quelques jours et ne pouvais partir très loin.

J’ai choisi la mer.
La Bretagne.

J’avais trouvé un hôtel dans l’un de ces jolis ports qui s’égrènent le long de la côte.
La journée passée au bord des vagues, fouettée par le vent chargé d’embruns, j’appréciais le calme des petites rues.

Les boutiques étaient belles, anciennes.
Plusieurs d’entre elles présentaient des métiers rares.
Il y avait même un atelier de luthier débordant d’instruments, où l’on pouvait admirer le maître des lieux en plein travail.

J’avais longtemps marché et je commençais à ressentir la fatigue.

Quand soudain, la musique m’est parvenue.
Je l’ai suivie : l’air de violon passait par une fenêtre ouverte.

En face, un petit muret qui bordait son jardin fleuri ressemblait à une invitation.
Je m’y suis assise pour profiter tranquillement de ce concert improvisé.

Quelle chance ! J’allais déjà beaucoup mieux.

Alors j’ai entendu, distinctement, la corde se casser.
Et après, le silence.

La déception m’a presque fait pleurer.
Un frisson m’a saisie, et la pierre rugueuse m’a écorché les doigts quand j’ai voulu me relever.
Je n’avais plus aucune raison de rester.

Mais là, devant moi, la porte s’est ouverte.

Son violon à la main, un jeune homme est sorti.

Un autre s’est penché à la fenêtre et lui a crié :
“C’est trop tard, il va bientôt finir !”

Il a tourné la tête vers lui un instant, a répondu :
“Peut-être, mais je vais quand même essayer.”

Et il est parti en courant.

J’ai suspendu mon geste, je l’ai suivi des yeux, et j’ai attendu.
Comme malgrè moi, j’ai attendu…

Les passants se faisaient de plus en plus rares.
Les ombres s’étendaient.
La chaleur du jour a disparu.

Après un long moment je l’ai vu revenir.

Et juste avant d’entrer chez lui, il m’a regardée avec un sourire heureux, a montré son violon, et il a dit :
“Réparé !”

Quelqu’un avait fermé les volets mais je pouvais tout de même entendre.

Les premières notes ont été discordantes, entrecoupées.
Je l’imaginais, tournant les chevilles d’accord.
Il essayait, jouait, essayait à nouveau, jusqu’à obtenir la juste tension des cordes.

Cela a pris du temps.

Mais peu à peu son archet est devenu plus léger.
Son mouvement plus rapide.

Et puis l’air s’est délié tout à fait.

Et la musique est montée.
Pure, vibrante, merveilleuse.

“Réparé.”

Un mot si simple, et si simplement dit.

La nuit était presque tombée, pourtant elle a semblé très claire.
Et en levant les yeux vers le ciel, je l’ai vu rempli d’étoiles.