Printemps

2 mai 2014

Ce matin, c’est le soleil qui m’a fait ouvrir les yeux.

J’ai d’abord été affolée à l’idée de ne pas avoir entendu le réveil et d’arriver en retard au travail.
Puis j’ai réalisé en succession rapide que :

Un, j’avais oublié de fermer complètement les rideaux.
Deux, les jours avaient rallongé à une vitesse surprenante.
Trois, on était samedi.
Et quatre, c’était le printemps.

Je me suis levée d’un bond joyeux, bien décidée à profiter de cette journée.

Mais la lumière éclairait tous les coins de l’appartement, se posait sur les meubles, soulignait chaque élément du décor.
Désignant poussière et désordre d’un doigt impitoyable.

Qui a parlé de grand nettoyage de Printemps ?

J’ai sorti chiffon, éponge et serpillère.
Débusquant au fur et à mesure de nouveaux endroits à frotter qui, une fois propres, faisaient paraître le reste d’autant plus douteux.

Quand j’ai croisé mon reflet dans la glace, rouge et échevelé, j’ai compris qu’il était temps de passer à autre chose.
Mais pas question de m’arrêter en si bon chemin : à court de produits d’entretien, j’allais sortir en acheter.

Je me sentais pleine d’énergie, efficace et déterminée.

Et puis, en descendant trop vite les escaliers, j’ai failli rater une marche.
Je me suis rattrapée de justesse à la rampe.
J’ai dû m’immobiliser brutalement, ma gaîté disparue d’un coup.

Comme si j’avais commencé à chanter trop fort, un ton trop haut, et que je ne pouvais pas tenir la note.
Cette impression glaçante et familière de décalage.
Ce creux, ce doute devant les gestes habituels si normaux et si simples, qui soudain me paraissent impossibles.

Singuliers. Etranges.
Eux, ou bien moi ?

Ne pas céder au découragement et à la peur.
Reprendre la mesure, un ton plus bas, ajuster sa voix à la partition, jouer en phase avec l’orchestre.

Je retrouve mon souffle et descends les dernières marches.

La rue est bruyante, animée.
Je règle mon pas sur celui des autres, puis oblique à droite.
Les hautes grilles du parc sont ouvertes.
J’ai besoin de verdure, de fleurs, de légèreté.

Un petit chien hirsute déboule à toute allure et file en zigzag, la truffe au ras du sol, reniflant les nouvelles pousses avec enthousiasme.
Frétillant d’énergie et d’humeur aventureuse, il déborde d’un entrain communicatif.

Un tout jeune enfant est posé sur l’herbe, en équilibre instable.
Quand il bascule en arrière comme un culbuto, sa maman se précipite.
Mais le derrière dodu et la couche épaisse ont heureusement amorti la chute.
Ses deux petits battoirs pressés contre son cœur, Bébé a un hoquet de plaisir.

Je m’assieds sur un banc devant la roseraie.
A côté de moi deux dames âgées papotent, pigeons et moineaux s’affairant à leurs pieds.

Je n’ai plus envie de bouger.

Mais bientôt me revient la longue liste des choses à faire, et la culpabilité me gagne peu à peu.
Le courrier à terminer, les coups de téléphone à donner, passer à la poste pour les timbres, faire les courses, la lessive…

Un vent léger fait bruisser les feuilles au-dessus de ma tête.
Les abeilles bourdonnent.
J’entends les rires des enfants.
Je sens le doux parfum des fleurs.
Et je ferme les yeux.

Le reste peut attendre.

Plus tard.

Il fait si bon !