Ourson

3 juin 2014

Ourson était le plus mignon des ours.

Oui, je sais.
Vous allez me dire que pour tous les enfants le premier animal en peluche est le plus beau du monde.

C’est vrai.
Mais en l’occurence, objectivement, j’ai rencontré plusieurs ours dans ma vie et jamais, je vous assure, aussi mignons que lui.

D’abord il avait les yeux bleus.
À la fois innocents et malins, avec un petit regard en coin.

Un pelage court très doux, beige clair.
Une grosse tête toute ronde avec une petite truffe à bout noir.
Des oreilles comme des coquillages.
Et un corps parfaitement proportionné.

En essayant de le décrire aujourd’hui je me rends compte de deux choses :

D’une part, je n’arrive pas à détailler en quoi il était fait.
Feutre, velours, laine, rembourrage, fil de fer ?

Je connais les réponses.
Mais je refuse de le réduire ainsi.

Et d’autre part, ce corps que je trouvais si harmonieux n’avait en fait rien d’habituel.
En tout cas il ne ressemblait pas beaucoup à un ours.
Ni d’ailleurs à aucun animal connu.

Petit bedon, grosses pattes, tout petits bras…
Un assemblage pour le moins original.
Disons qu’il n’était pas d’une beauté classique.

Mais de cette création improbable, émanait pourtant un charme qui nous a liés l’un à l’autre dès le premier instant.

Il était dans la vitrine d’une boutique de jouets et je l’ai vu un jour où je me promenais avec Maman.

Je suis tombée en arrêt.

C’était une évidence, il n’attendait que moi.
Il suffisait de pousser la porte du magasin et d’aller le chercher.
Je le voulais tout de suite.

Maman a refusé !

Alors moi, qui étais plutôt douce et peu capricieuse, je me suis mise à hurler.

Je crois même que je me suis roulée par terre ; elle a dû m’emmener écumante de rage et de détresse.

Comment était-ce possible ?
La personne censée m’aimer le plus, ignorant à ce point mon malheur ?
Dans mon esprit de petit enfant je me suis sentie incomprise pour la première fois.

Quelques temps plus tard j’ai été malade.
Dégoûtée, sans aucun doute, de la vie en général.

Je pensais l’avoir perdu pour toujours.

Il était resté dehors dans le noir.
Je savais bien que la nuit les lumières s’éteignaient.
Quand le soir venait, en me haussant sur la pointe des pieds, je voyais par la fenêtre le ciel s’assombrir au-dessus des toits.

Et je l’imaginais tout seul, si triste.
Sûrement un autre enfant allait le prendre.
Il l’avait peut-être déjà pris.

Je demeurais inconsolable.

Mais un jour, alors que j’étais assise sur le tapis, mélancolique, mes jouets éparpillés autour de moi, Maman est entrée.
Elle tenait un gros paquet enveloppé de papier brillant. Et quand je l’ai ouvert, Ourson est apparu.

Je l’ai serré contre mon cœur ; nous n’allions plus nous quitter.

A l’heure où j’écris ces lignes, il est encore près de moi.
Dans l’armoire de ma chambre, sur l’étagère du haut.

Mais Chut !
Ne le dites à personne…