L'Appartement

20 mai 2014

L’une de mes amies travaillait dans un cabinet d’architectes près de Bordeaux.

Quand elle m’avait proposé de l’y rejoindre, alors sans emploi et libre de toute attache, j’avais accepté son offre.

Je m’étais installée provisoirement dans un petit studio qui m’avait convenu jusque-là.
Mais une fois engagée de manière définitive, et donc sûre de rester, j’aspirais à autre chose.
Un endroit plus accueillant et proche de mes goûts.

Je cherchais déjà depuis quelques mois et l’Agence m’avait montré plusieurs appartements.

Suffisamment clairs, spacieux, bien situés pour la plupart, aucun d’eux pourtant n’avait entraîné le déclic.

Aucun ne possédait le “je ne sais quoi” éveillant l’attention.
Le petit plus, parfois indéfinissable, qui fait la différence.
Le charme qui opère.

Après tous ces rendez-vous décevants, je commençais à me décourager.

Mais quand la porte s’est ouverte sur celui-là, quelle surprise ! J’ai eu vraiment envie d’y entrer.
Et dès les premiers pas sur le parquet ancien qui embaumait la cire, je me suis sentie bien.

La propriétaire, une aimable dame à la retraite, déménageait pour rejoindre ses enfants.
Pendant la visite elle est restée discrète, assise dans le salon.

Seul le chat nous suivait de pièce en pièce, sautant sur un fauteuil, un appui de fenêtre ou un lit et, me fixant de ses yeux mi-clos, semblait me mettre au défi d’avancer la moindre critique.

Je n’en avais pas envie, tout me plaisait.

Pourtant cet appartement était l’antithèse de la décoration épurée chère aux magazines.
L’exact contraire du style neutre conseillé par les professionnels de la vente “afin que l’acheteur éventuel puisse s’y projeter”.

Mais malgré les papiers peints chargés, les lourds rideaux, l’abondance de bibelots et de photographies ; malgré tous ces souvenirs qui n’étaient pas les miens, dans cette atmosphère surannée, j’ai su que je l’avais enfin trouvé.

Et je l’ai voulu.

Mon cœur a commencé à s’emballer, mes mains sont devenues moites.
(Calme-toi, tout va bien, si tu l’as tant mieux, sinon tant pis. C’est qu’il n’était pas pour toi.)

Respiration. Détente.

Ça aide plus ou moins.
Voire pas du tout.
Peut-être seulement à gagner un peu de recul, et à réaliser combien mes émotions sont envahissantes, excessives, pathologiques ?

J’étais seule, je devais prendre une décision et m’y tenir.

J’ai plongé. J’ai dit : “Oui, il me plaît.”

J’avais eu l’impression de claironner, mais en fait ma voix était tellement étouffée que l’agent immobilier n’a pas compris.
Il m’a regardée d’une manière bizarre, soupçonneuse.
(Arrête ça tout de suite Jeanne !)

J’ai souri le plus naturellement du monde et redit, après une petite toux comme si j’étais simplement enrhumée :
“Il me plaît, je le prends.”

Ensuite tout est allé très vite, tout a été étonnamment facile, je n’ai eu qu’à me laisser porter.

Du coup, bien entendu, j’ai commencé à m’inquiéter.
Trop beau pour être vrai, et tutti quanti…

Respiration. Détente.

J’ai quand même pris plus de calmants que d’habitude, mais des plantes, des tisanes.
Pas de choses trop fortes.

Cela, c’est terminé.
Je n’en ai plus besoin.

C’est ce que le docteur a dit :
“Jeanne, volez de vos propres ailes ! Soyez confiante, vous méritez de vivre et d’être heureuse.”

C’est ce qu’il a dit.

Je me le répète.
Et je m’y accroche.